Homélie

A l'occasion des obsèques du Père Louis Pelletier, l'homélie a été prononcée par le Père Paul Dollié (pauldollie@yahoo.fr).

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Homélie pour le décès du Père Louis Pelletier en la fête de Saint Benoit 11 juillet 2015

« Mon fils, accueille mes paroles, [...] rends ton oreille attentive à la sagesse. [...] Oui Si tu demandes le discernement, si tu appelles l’intelligence, si tu la recherches comme l’argent, si tu creuses comme un chercheur de trésor, alors tu comprendras la crainte du Seigneur, tu découvriras la connaissance de Dieu [...] ». Alors tu comprendras [...] les seuls sentiers qui mènent au bonheur » (1ère lecture).  

La famille et les amis proches ont choisi de garder les lectures du jour, parce que providentiellement ces textes parlent de ce que Louis a cherché à vivre. L’Évangile nous parle du ciel. La première lecture et l’Évangile nous disent comme y arriver : il faut écouter, et il faut tout quitter. Il me semble qu’ « écouter » et « quitter » sont les deux grandes attitudes que Louis a cherché à vivre, pour aller au ciel, et pour nous y conduire.   

Je parle, en « je », au nom de vous tous, et j’espère être fidèle à ce que Louis était pour vous.

Qui vous parle ? Je suis le Père Paul Dollié. J’ai connu le Père Louis en 1996 quand je suis arrivé à la paroisse de la Trinité. Je n’étais pas encore séminariste mais vivais au presbytère. Je venais de vivre « une forme de conversion » et j’avais choisi de prendre un temps avant de rentrer au séminaire. Très rapidement j’ai reconnu que Louis avait une sagesse, une science qui me conduiraient à Dieu. Je me suis donc renseigné pour avoir l’ensemble de ses enseignements[1], que j’ai écoutés et fait écouter à des amis.  Je peux dire aujourd'hui que ma personnalité sacerdotale est marquée par Louis. Il m’a communiqué un goût de l’intériorité, de la vie cachée, le bonheur d’être simplement sous le regard de Dieu et cela suffit.

En lisant les témoignages que vous avez envoyés, en faisant mémoire des paroles et des gestes que Louis nous a offerts, j’aimerais relire quelques points de la pensée du Père Louis sous deux mots qui j’espère lui correspondent : Écouter et quitter.

Je dis la pensée du Père Louis car Louis avait une pensée originale, une manière d’être avec les êtres et les choses selon une spiritualité qui lui était propre. Pour reprendre un mot du Père Bruno Lefebvre Pontalis avec lequel il était en lien « Il y avait en lui une vraie expérience et une pratique personnelle de la vie mystique ».  Je ne viens pas centrer mes éloges sur Louis, mais me mettre avec vous dans la position du disciple, pour recevoir à nouveau ce que le Seigneur a déposé en lui.  

Écouter.

Louis aimait bien commenter la parabole du semeur (Mt 13,1-23) et dire que le sens de notre vie est d’accueillir une semence, d’obéir à une parole, de recevoir le Christ pour porter du fruit. Pour résumer sa pensée : Dieu se donne sans cesse. Il est un Père (Ep 1,3-14). Il est là où que nous soyons, quelle que soit notre condition. Notre devoir est simplement de disposer le terrain. Ce terrain c’est notre cœur. Si notre cœur est pur alors nos œuvres seront pures, notre vie sera pure ; si notre cœur est malade, nos œuvres seront mauvaises (Lc 6,43-45). Cette préoccupation de travailler sur lui bien en amont, au niveau des racines, l’invitait à ne pas être dans la précipitation (Za 4,6), mais d’attendre comme un serviteur au pied de son maître (Ps 123,2) ce qu’il devait vivre pour lui et dire aux âmes.

De cette écoute naissait une prédication et un enseignement qui allait du cœur au cœur. Louis n’était pas un prédicateur selon le monde, au sens d’un homme qui enthousiasme les foules « en les chauffant » par la parole. Il ne tombait pas non plus dans une paraphrase des textes, ni dans la compilation d’auteurs bien digérés ;  mais il donnait Dieu, il parlait « avec autorité » (Mc 1,27). On avait envie d’aimer Dieu quand on l’écoutait. On se disait que le ciel était proche, que la vie avec le Christ était finalement accessible, attirante, faite pour nous. C’était un « rabatteur ». Il ne nous conduisait pas à des idées brillantes ou savantes mais à une personne. Cette personne devait nous mettre en mouvement. Je me souviens de tous les petits exemples tirés de sa propre vie pour nous montrer comment la parole est agissante (He 4,12), et éclaire nos chemins. Ceux qui l’ont entendu ont appris à faire cette synthèse entre ce que l’on croit et ce que l’on vit. La vie mystique était une vie morale et la vie morale s’enracinait dans la vie mystique dans une mutuelle fécondation.

L’Écoute ! c’est l’écoute de Dieu et aussi l’écoute des hommes. Votre présence nombreuse signifie sa proximité. Louis n’aimait pas des foules mais des personnes. Il n’hésitait pas à prendre en charge ceux qu’il rencontrait et qui se laissaient rencontrer, avec un amour plus particulier pour les pauvres. Combien de témoignages disent « il a sauvé notre couple » « il m’a accompagné dans mes épreuves » « vous m’avez emmené en pèlerinage à Lourdes, vous m’aviez nourri ». Les témoignages sur le site mis au point pour les funérailles nous font voir le rayonnement de sa charité. Sa préoccupation d’une authentique écoute l’avait amené aussi à travailler avec quelques thérapeutes et prêtres sur les liens possibles entre le psychique et le spirituel.  

L’écoute, c’est aussi l’écoute de sa famille. Il aimait ses parents « je veux passer du temps avec mon papa qui va nous quitter » avait-il dit à ses confrères de la paroisse.

Il aimait les rues de Paris et soigner les cœurs blessés de Pigalle ou d’ailleurs. Combien de maraudes sauvages dans les rues de Pigalle avec des habitués du centre Tibériade pour prier le chapelet sur les trottoirs des prostituées.

Il aimait les malades de l’Hôtel-Dieu en les visitant, en les écoutant, en laissant passer la lumière, sans s’imposer. Combien ont voulu mourir avec l’aide du Père. Il apprenait aux grands de ce monde à devenir petit sur un lit d’hôpital. Comme il était aimé du personnel de l’hôpital !

C’était un évangélisateur qui savait que les riches comme les pauvres ont une âme, que tous ont une égale dignité, avec un vrai souci de leur salut.

Cette écoute, cet amour des pauvres, ce souci missionnaire, son désir de prière, sa santé fragile, ses limites, son humour « pince sans rire », son ironie de bon gout, et son côté « décalé », peut nous faire penser à Pierre Goursat, qu’il a rencontré et aimé. Ne lui doit-il pas la réalisation de sa vocation ? Il y a un lien entre ces deux figures qui m’a permis de comprendre qu’il était bien à sa place dans la Communauté de l’Emmanuel.

Quitter

L’autre mouvement pour aller vers Dieu après l’écoute est « quitter ». Quand tu aimes il faut partir. Il faut quitter un pays comme Abraham (Gn 12), quitter une fonction comme Simon et André (Mc 1,16), quitter des personnes comme Jacques et Jean (Mc 1,20), quitter une œuvre, « mon Isaac » comme Abraham (Gn 22), et enfin se quitter soi-même (Mc 8,35).

Pour la plupart d’entre nous l’enseignement du Père Louis nous a donné la grâce d’apprendre à quitter. Quitter pour Louis c’était consentir au réel comme une parole de Dieu. C’était bénir le Seigneur en tout temps comme dit le psaume de ce jour. C’était accepter que le chemin tordu devienne chemin de Dieu, tout simplement parce qu’il est là ; parce que c’est mon chemin. Au groupe des « Parents seuls » beaucoup pourraient témoigner de cela. Combien de situations ont été acceptées grâce à son accompagnement ou son enseignement. Dans ces propos Louis nous apprenait à épouser la croix pour moins souffrir au lieu d’entrer dans le refus infécond.

Louis en bon disciple a appris à quitter lui aussi. Il a quitté des personnes comme le Père Chapelle qui l’accompagnait et qui est décédé. Dans ses dernières années, Il a quitté un lieu, Paris. Il a quitté une fonction d’enseignant.  Il a quitté certains projets. Tout cela l’a mûri ; et comme une voile qui épouse le vent il est passé progressivement de « l’acceptation à l’offrande ». En quittant il découvrait un autre appel. Son travail sur la catéchèse auprès des enfants a été une révélation pour lui-même. C’est la situation nouvelle, joyeusement acceptée qui lui a permis d’entrer dans une nouvelle fécondité.

Cette pâque, il ne la vivait pas seul, mais avec Marie et l’Eucharistie.

L’Eucharistie : Louis aimait contempler le Christ dans son offrande au Père. L’Eucharistie c’est Jésus qui s’offre au Père. En adorant Jésus qui s’offre au Père dans le Saint Sacrement, vous aurez un même désir de vous offrir au Père, dans un grand abandon, disait-il en substance. Il savait qu’on passait de ce monde au Père, par l’Eucharistie. Je me souviens qu’il m’avait confié que pour évangéliser, avant une conférence, parfois il célébrait l’Eucharistie et parfois les cœurs s’ouvraient à Dieu, tout simplement. Je pense à cet homme alcoolique qui est sorti de son alcoolisme grâce à une messe et une homélie du Père Louis. Tout le monde se souvient de sa manière de célébrer la messe. J’aimerais un jour célébrer la messe avec la même profondeur.

Marie : Si le Christ est venu jusqu’à nous par Marie ; c’est aussi par Marie que nous quitterons l’esprit du monde pour aller vers le Christ et vers le Père. Marie était pour Louis, son chemin, son « écosystème », son univers, une école, un « sein pour renaître » (Jn 3,4), une manière d’être et de penser. Il aimait dire de la Sainte Vierge « sans faire aucun miracle elle a fait plus que tous les apôtres ». C’est grâce à Marie qu’il a réussi à entrer dans cette vie cachée, à quitter ses désirs de grandeurs que nous avons tous. Cette maternité engendrait en lui une véritable humilité et une pureté du cœur. Quel que soit son âge on voyait en lui un enfant. Je trouve curieux qu’il soit décédé le jour de la sainte Maria Goretti, comme s’il voulait nous dire sans le savoir que c’est en redevenant des petits enfants que nous entrerons dans le royaume des cieux (Mt 18,3).  

A nous qui allons repartir dans quelques heures dans nos occupations, notre vie quotidienne, nos vacances, qu’avons-nous à vivre ? Peut-être que nous pourrions mettre en pratique cette sagesse proposée par Louis en écoutant et en quittant.

Tout d’abord en écoutant. Comme tous les prédicateurs, Louis ne voulait pas être écouté mais entendu (Mt 13,23). La simplification dans ses enseignements, puis la volonté de ne pas être le seul orateur dans le Parcours Nazareth était au service d’une transformation plus grande des personnes. Ainsi Le plus grand cadeau que nous pourrons offrir à Louis maintenant, c’est de mettre en pratique ce chemin étroit, cette petite voie, qu’il nous a enseignée par sa vie ou ses paroles.

En second lieu, il nous faudra quitter. Quitter la tristesse de l’absence qui ne peut durer. Comment ? En acceptant de vivre autrement, en ayant foi que le Père du ciel reste notre Père même si son enfant n’est plus de ce monde. Enfin quitter - en commençant par moi - le remords de ne pas l’avoir assez aimé. Les êtres qui disparaissent, par leur trop plein de bonté, nous renvoient à la figure notre ingratitude : J’aurais dû plus l’aimer, prendre plus de temps, m’arrêter et échanger davantage, manger et marcher avec lui…  Puisque le passé ne peut se ré-écrire nous nous confions les uns les autres à la miséricorde. Et nous emportons avec nous dans cette prière, Louis, qui, comme chacun de nous, a besoin de miséricorde pour aller rejoindre le Père.

                                                                                                         Père Paul DOLLIE

 

[1] Une partie de ses enseignements sont maintenant accessibles sur http://sagesse-evangelique.com/